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Redécouvrir (et relire) Louise Colet

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81LoVTKXcvL._SL1143_.jpgDes muses littéraires de la période romantique, au demeurant nombreuses, la postérité n’a retenu que quelques noms. C’est ainsi que la poétesse Marceline Desbordes-Valmore, la romancière George Sand, la théoricienne Germaine de Staël ou encore la journaliste Delphine de Girardin ont pris place dans nos manuels scolaires. Mais qui se souvient de la comtesse de Bournon-Mallarmé, auteur de près de cent vingt romans, d’Amable Tastu, d’Hortense Céré-Barbé, de Claire de Duras ou d’Hortense Allart de Méritens ? Le nom de Caroline Marbouty, alias Claire Brunne, est parfois cité, non pour son œuvre, mais pour avoir, déguisée en homme, accompagné Balzac lors d’un voyage à Turin. Quant à Léonie d’Aulnet, on se rappelle avant tout qu’elle fut surprise en flagrant délit d’adultère avec Victor Hugo, placée dans un couvent par décision de justice, comme la loi l’exigeait alors, puis qu’elle fit une belle carrière littéraire, tout en poursuivant ses coupables activités avec ce pair de France… De Louise Colet, l’Histoire n’a gardé en mémoire que l’éclatante beauté, les frasques amoureuses et le caractère exécrable. Sa production littéraire, tant poétique que romanesque, ne manque pourtant pas d’intérêt.


Louise Colet était assurément très belle – et le savait. À cette époque, pour peu qu’une femme jolie ait de l’esprit, elle se rend incomparable. Car séduire ne suffit pas, encore faut-il laisser dans l’Histoire plus qu’une place tiède dans un lit. Il est vrai que Louise Colet, maniant à la perfection l’art de l’intrigue sous ses airs ingénus, savait faire fructifier son capital beauté. Ce qui fera dire à l’académicien Émile Henriot, qui avait la dent dure mais ne manquait pas d’humour : « Elle avait la plume facile. La cuisse aussi. »


Née à Aix-en-Provence le 15 septembre 1810, Louise Révoil se prétendait d’extraction noble, alors que son père – péché véniel – était receveur des Postes. En 1832, elle rencontre Hippolyte Colet, qui effectue de fréquents séjours à Nîmes, dans sa famille. Il se dit professeur de composition au Conservatoire de Paris, mais il n’est que suppléant et répétiteur du professeur Antoine Reicha. Ces deux-là sont faits pour s’entendre qui savent tout enjoliver. Louise l’épouse en 1834, contre l’avis de ses parents, et en leur absence. Sûrement voit-elle dans cette union le moyen de fuir la province pour partir à la conquête de Paris. On ne saurait être plus romantique.


Louise, qui s’est déjà fait connaître par quelques poèmes, jouit alors d’une notoriété départementale. En 1836, ce Rastignac en jupons publie un premier recueil de vers, Fleurs du Midi. Prise en amitié par Mme Récamier, dont elle fréquente le salon, elle sollicite une préface du vieillissant Chateaubriand. Celui-ci se dérobe par deux fois, lui faisant néanmoins la courtoisie, noblesse oblige, de lui adresser des lettres de refus élogieuses et bienveillantes. N’importe ! Louise les insère sans vergogne en ouverture de l’ouvrage. Et parvient à décrocher une subvention du roi Louis-Philippe, qui n’avait pourtant que faire de la poésie.


Quant à son mariage, il bat de l’aile : la colombe provençale préfère les grands rapaces aux modestes passereaux. Dès 1838, les époux se séparent, mais ils vivront encore cinq ans sous le même toit. L’année suivante, Louise Colet concourt avec succès pour un prix de poésie de l’Académie française. Les vieux Immortels sont sous le charme. Les mauvaises langues prétendirent que les courbes de la donzelle contribuèrent grandement à donner plus de lustre à sa versification. Elle devient d’ailleurs la maîtresse de l’un d’eux, le très docte et sérieux Victor Cousin, presque cinquantenaire, qui ne manque pas de la recommander avec insistance au Tout-Paris littéraire. Les portes s’ouvrent presque toujours en même temps que les draps…


Voici que Louise est enceinte. On se gausse. Le facétieux Alphonse Karr ne retient pas sa plume, dans son journal satirique Les Guêpes, évoquant une « piqûre de cousin ». Le sang de la belle outragée ne fait qu’un tour. Elle tente de le poignarder. Fort heureusement, la lame glisse. Heureusement Karr n’entend pas donner suite à ce pathétique incident. En revanche, il fait encadrer l’ustensile de cuisine, avec cette inscription : « Offert par Mme Louise Colet… dans le dos. » Quant à l’enfant de Louise, elle vient au monde le 16 juillet 1840 et reçoit le prénom d’Henriette-Suzanne. Ni Hippolyte ni Victor n’acceptent d’endosser la paternité.


Louise est maintenant célèbre, du moins on parle d’elle. Elle fréquente les salons les plus cultivés, ouvre le sien, d’excellente tenue, et de nombreux écrivains s’intéressent à son œuvre. Elle est reçue aux Tuileries et l’Académie lui accorde en 1843 un nouveau prix de poésie pour Le Monument de Molière. Fait unique dans les annales, elle sera couronnée cinq fois par cette auguste assemblée. Auteur prolifique, elle publie des romans, des biographies, des récits de voyage et des vers, n’oubliant jamais de se rappeler au bon souvenir des chroniqueurs littéraires, quitte à les harceler et à se venger s'ils n'obtempèrent pas. Car Louise n’est pas seulement acariâtre et colérique, elle est rancunière. Le pauvre Cousin, qui lui resta fidèle, dut bien souvent subir des scènes mémorables, et en public, lui qui devait aussi composer avec les incartades de sa remuante maîtresse…


En juin 1846, Louise rencontre dans l’atelier du sculpteur Pradier un grand gaillard moustachu, une force de la nature : Gustave Flaubert, alors âgé de vingt-quatre ans. Elle en a trente-cinq. Il écrit – quelques nouvelles et une première version de L’Éducation sentimentale –, mais n’a encore rien publié. Entre deux escapades à Paris, il vit avec sa mère et sa nièce à Croisset, près de Rouen, où il sacrifie au « culte fanatique de l’art », unique consolation à « la triste plaisanterie de l’existence ». En juillet, ils deviennent amants. Ils sont très amoureux. Une révélation pour Flaubert, qui ne croyait apprécier que les femmes mûres et n’a connu qu’un amour platonique. Leurs amours seront les seules de son existence, prisonnier qu’il est de son travail, de sa haute idée de la littérature et des contraintes qu’il s’impose. Mais très vite, les amants déchantent. Car cette rencontre du feu et de l’eau produit plus de vapeur et de bouffées que d’apaisement : elle, passionnée, entière, exigeante ; lui, renfermé et enfermé à Croisset, donnant tout à l’art et à l’œuvre en devenir, ne sachant plus comment préserver la solitude indispensable à la création, comment tempérer les ardeurs de cette amante insatiable. Ils se voient à Paris, tous les deux mois en moyenne, ou à Mantes. Elle en veut plus. Il tente de la contenir. L’énergie dépensée à faire l’amour, estime Flaubert, nuit à celle qu’exige l’écriture. Elle insiste.


Première rupture en août 1848. Quelques mois plus tard, Flaubert entreprend son voyage en Orient avec Maxime Du Camp – les harems sont réputés moins prenants. À son retour, en juin 1851, il trouve une lettre de Louise lui demandant de passer la voir lors de son prochain séjour à Paris. C’est qu’entretemps la santé d’Hippolyte Colet s’était dégradée. Toujours mariée, mais séparée de corps, elle l'a hébergé et s'est occupée de lui jusqu'à sa mort, dans ses bras, le 21 avril 1851. 


Étrange Louise, tout en paradoxes : elle se réconcilie avec Flaubert, dont elle redevient l’amante, alors qu’elle est déjà celle de Musset. Et le manège reprend : drames, cris, reproches, scènes publiques… Elle a beaucoup insisté pour lire ses carnets d’Orient, se plaint qu’il n’y soit jamais question d’elle et lui reproche vivement ses étreintes avec quelques prostituées. Intransigeante, elle veut surtout qu’il la présente à sa famille, qu’il quitte Croisset pour s’installer avec elle à Paris et refuse de comprendre qu’il ait besoin de solitude pour écrire ce roman, Madame Bovary, dont on n’entrevoit jamais la fin.

Flaubert reste patient et courtois. Lorsqu’elle traverse de graves difficultés financières, il lui prête même de l’argent. Aidé de Louis Bouilhet, il la conseille, tente de placer ses textes et sélectionne les vers de son nouveau recueil, Ce qui est dans le cœur des femmes (1852). Lui en est-elle reconnaissante ? Ce n’est pas certain. Pendant ce temps, Flaubert s’épuise sur son manuscrit : cinquante-quatre mois d’un travail acharné, 3 800 feuillets, dix pages de brouillons pour une page utile. À quelques semaines du point final, le 5 mars 1855, Louise se présente sans prévenir à la grille de Croisset. Il ne la reçoit pas, mais rompt dès le lendemain, dix lignes à peine où il reprend le voussoiement.


Durant toute leur liaison, ils n’ont cessé de s’écrire. Et cette correspondance presque quotidienne, l’une des plus belles du XIXe siècle, ne se limite pas aux griefs et autres considérations sur l’amour. Plus qu’une maîtresse, Louise Colet a été pour Flaubert une confidente, à laquelle il s’ouvrait de ses affres de créateur. Dans les centaines de lettres qu’ils ont échangées, des poèmes entiers sont décortiqués ligne à ligne, des théories littéraires sont exposées et défendues. Enfin, Flaubert y évoque longuement son œuvre en gestation.


En 1857 paraît Madame Bovary. Louise, plus que personne, a assisté à la conception du chef-d’œuvre et aimerait se voir associée à la gloire de Flaubert. Las ! Gustave reste silencieux. Cette même année voit disparaître Alfred de Musset. Deux ans plus tard, George Sand écrit Elle et Lui, récit de sa liaison avec le poète, auquel Paul, le frère d’Alfred, réplique aussitôt avec Lui et Elle. Louise tient sa revanche et publie à son tour Lui, roman contemporain. Elle s’y dépeint sous son plus beau jour, amoureuse injustement trahie par les hommes. Flaubert y est traîné dans la boue. À l’en croire, seul Musset savait apprécier les bienfaits de sa passion ; elle oublie de rapporter que le poète, à moitié ivre, avait tenté d’abuser d’elle dans une calèche, ou comment, lassé de sa fougue, il avait donné des ordres pour qu’elle ne fût plus jamais autorisée à mettre les pieds chez lui.


Dès lors, la vie de la Muse n’est plus la même. La frêle colombe devient une grasse pintade. Malgré quelques amants prestigieux, tels qu’Alfred de Vigny, une abondante production et quelques scandales dont elle a le secret par manque de retenue, Louise Colet s’enfonce peu à peu dans l’oubli et dans les avanies financières. Elle meurt le 8 mars 1876, presque oubliée de tous, même de ceux qui profitèrent largement de ses libéralités.


Louise Colet a su faire parler d’elle pour de bonnes et de mauvaises raisons, occultant de ce fait les qualités de son œuvre. Les commentateurs de l’époque, pour la plupart, n’ont vu en elle qu’une pimbêche, très jolie au demeurant, dont le principal talent fut de mettre sa plastique en valeur. Pressée de réussir, soucieuse de notoriété, elle a tendu les verges pour se faire battre. Ses détracteurs, aveuglés par la misogynie, n’ont pas compris – ou ont feint de ne pas comprendre – qu’elle cherchait avant tout une reconnaissance, comme femme et comme auteur. Eût-elle été un homme, son comportement n’aurait scandalisé personne.


Au-delà d’une liaison tumultueuse, il est en effet certain que Flaubert, englouti par l’œuvre en construction, aurait prêté peu d’intérêt à Louise Colet si elle avait été « légère et niaise comme les autres femmes » (lettre de Gustave Flaubert, à Louise Colet, 8 août 1846). Sans lui reconnaître du génie, il n’en était pas moins admiratif ; exigeant, même, comme on peut l’être avec ceux que l’on estime. Ne serait-ce que pour cela, il est encore temps de redécouvrir son œuvre.


joelle-gardes-louise-colet-du-sang-de-la-bile-de-l-encre-et-du-malheur.jpgLouise Colet, c'est tout cela, mais c’est bien plus encore. Les frasques et autres emportements ont occulté l'œuvre, terriblement romantique – qui fut de son temps en son temps – et son auteur, engagée et entière. Sans aller jusqu'à parler de réhabilitation, Louise n'en a pas besoin, Joëlle Gardes fait revivre le personnage – car sa vie est celle d'un personnage de roman, comme pour de nombreux auteurs du XIXe siècle – d'une plume alerte et précise, non sans une dose de poésie de bon aloi. Au-delà des aspects anecdotiques ou truculents du parcours de Louise Colet, elle rappelle que la Muse fut aussi une amie fidèle (Madame de Récamier, Béranger, Leconte de Lisle, Victor Hugo…), une femme engagée mettant sa plume au service des opprimés et un auteur dont Albert Thibaudet prit la défense dans son incontournable biographie de Gustave Flaubert. Joëlle Gardes va plus loin encore. Pour percer le mystère de cette femme méconnue, et dont on a retenu que les aspérités, elle n'hésite pas à se glisser dans la peau de son sujet d'étude, s'exprimant à la première personne, tout en offrant d'autres angles de vision, comme cette voix off venant parfois éclairer différemment le sujet. Une approche intime, mais sans complaisance ou empathie excessive, le risque de ce genre d’exercice, portée par une belle écriture. On pourra, en parallèle, lire le récit biographique de Thierry Poyet, consacré à Gustave Flaubert, également rédigé à la première personne, racontant sa jeunesse selon le même mode opératoire et qui, évidemment, convoque Louise Colet vue par l’ermite de Croisset. Deux livres qui se parlent et se répondent.


> LOUISE COLET. DU SANG, DE LA BILE, DE L'ENCRE ET DU MALHEUR, Joëlle Gardes, Éditions de l'Amandier, coll. « Mémoire vive », mars 2015, 182 pages, 20 €

> FLAUBERT, UNE JEUNESSE D’OURS, L’Harmattan, coll « Espaces littéraires », juillet 2011, 202 pages, 19,50 €


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